30 octobre 2023
La Cour de cassation a rendu le 19 octobre 2023 un arrêt assujettissant aux cotisations sociales retraite les dividendes versés par la société d’exploitation « SEL » d’un professionnel libéral à sa holding « SPFPL », sans que ces dividendes ne lui aient été en tant que personne physique distribués. Le cabinet d’expertise-comptable NERIOS CONSEILS vous décrypte cet arrêt, ce qu’il implique pour les professionnels libéraux et quels risquent emporte-t-il.
Contexte de l'arrêt
Un chirurgien-dentiste exerce seul son activité au sein d’une SELARL. Il détient 1% du capital et des droits de vote de cette société. Sa holding SPFPL détient les autres 99%. Cette même SPFPL est détenue à 50% par le chirurgien-dentiste et à 50% par sa femme.
La caisse de retraite de ce chirurgien (CARCDSF) a décidé de soumettre aux cotisations retraite le montant des dividendes versés par sa SELARL à sa SPFPL, lui notifiant un appel de cotisations supplémentaires au titre de deux années, ce qu’il a contesté.
Après qu’un appel ait été interjeté auprès de la Cour compétente, celle-ci a estimé devoir intégrer dans l’assiette de cotisations sociales tous les dividendes distribués par la SELARL à la SPFPL, ce que la Cour de cassation dans la foulée confirmé.
Fondements de la décision : un peu d’histoire
Cette décision est fondée sur le fait que la Cour de cassation considère que :
Ces arguments ne nous surprennent toutefois guère, non sans nous rappeler la décision qui avait été rendue par cette même Cour de Cassation en 2008.
Précisément, en 2004, « l’exonération Sarkozy » permettait à tout entrepreneur individuel de céder sa clientèle, sa patientèle ou son fonds de commerce à une société dont il détenait 100% du capital social tout en obtenant l’exonération d’imposition de la plus-value et de droits d’enregistrement associés qui en découlaient lorsque la valeur de cette cession n’excédait pas les 300 000 €.
Dans un souci d’optimisation, de nombreux professionnels libéraux – du domaine médical notamment – devenus gérants majoritaires de leur SEL ayant racheté leur patientèle, ont alors cessé de se payer, ne percevant plus que des dividendes, ainsi exonérés de cotisations sociales.
Cela étant, la caisse de retraite des médecins (CARMF) puis le législateur ont en 2008, 2009 et 2013 réagi en assujettissant ces dividendes aux charges sociale l’ensemble des cotisations sociales des travailleurs non-salariés des SELARL et SARL.
D’abord, l’argumentaire de la Cour de cassation fait preuve d’une certaine ambiguïté.
La Cour de cassation ne précise pas si ce sont les dividendes distribués qui doivent faire l’objet d’une soumission aux cotisations sociales ou s’il faut intégrer dans l’assiette de cotisation sociales le bénéfice de la SEL.
Dans ce premier cas, il s’agirait par conséquent de faire fi du régime mère-fille et de l’absence de distribution de dividendes à l’associé personne physique. Dans cet autre cas, il s’agirait de considérer cette société comme transparente socialement.
Par ailleurs, la Cour de cassation n’accorde pas de portée générale à sa décision, celle-ci ne concernant, pour le moment, cumulativement, que :
Rien n’est précisé à propos de son éventuelle extension aux SEL avec plusieurs associés, aux sociétés de droits commun, aux autres cotisations sociales (URSSAF) ainsi qu’à l’impôt sur le revenu.
Aussi, l’application de cette décision semble complexe.
Dans le cas d’une première distribution de dividendes entre la SEL et la SPFPL ayant été assujettie au paiement de cotisations sociales, il n’est pas précisé ce qu’il adviendrait des éventuels prélèvements sociaux sur les dividendes versés plus tard par la SPFPL à ses associés personnes physiques. Il nous paraît peu probable qu’il faille les soumettre une deuxième fois au paiement de cotisations sociales.
Encore, cette décision instaure une présomption automatique de revenu du travail.
Elle insinue ainsi que les professionnels libéraux ne pourraient plus bénéficier d’une rémunération issue du capital, ce qui n’est pas le cas des autres secteurs d’activité.
Enfin, la généralisation de cette décision entraînerait un surcout important pour les schémas existants.
Les SPFPL fortement endettées sont nombreuses, compte tenu des investissements significatifs que requière souvent l’acquisition d’un fonds libéral. La soumission à cotisations sociales des dividendes versés par les SEL aux SPFPL entraînerait de fait un surcoût tel qu’elle rendrait difficile voire impossible le remboursement des échéances d’emprunt de ces dernières, les mettant en difficulté.
Si les enchaînements de décisions de la Cour de cassation ainsi que du législateur ne laissent que peu de place à l’optimisme, il est fort probable, compte tenu des fortes mobilisations des professionnels libéraux de ces derniers jours, que des amendements soient contradictoirement à la décision de la Cour de cassation votés.
Par ailleurs, cette insécurité juridique, fiscale et sociale peut dans une certaine mesure être cantonnée.
Il pourrait par exemple convenir au professionnel libéral, en toutes circonstances et dans la mesure du possible de se rémunérer convenablement, a minima conformément à la moyenne de son secteur et possiblement confortablement avant de penser à toute distribution de dividendes.
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